Les 129 critiques de Jean-Marc Lernould sur Bd Paradisio...

L'esprit de l'île (Saint Kilda) par Jean-Marc Lernould
C’est la suite et la fin d’une histoire fantastique pas vraiment comme une autre. Normal, puisqu’elle est éditée chez Emmanuel Proust, une maison d’édition dont on peine à chercher les faux pas.

Rappel du point de départ : le jeune Darius, fils d’un riche industriel anglais de l’époque victorienne, avait tout pour reprendre l’affaire du paternel via un mariage arrangé qui aurait tourné à la fusion de deux entreprises. Mais le jeune homme a eu le tord de braver la morale commune en appuyant dans sa thèse les idées de Darwin. Sanction immédiate, il est quasiment exilé pour deux années par son père dans une île perdue, Saint Kilda, au nord de l’Irlande. Un lieu sans arbre, restreint, où vivent hommes et femmes au sein d’une communauté ignorante du reste du monde, et que dirige le prêtre gourou Jacob. Un genre d’idéal qui cache des faits très sordides, dont les jeunes femmes sont les premières victimes, et que Darius va révéler au fur et à mesure qu’il en prend connaissance. Des femmes qui vont se surprendre elles-mêmes en désobéissant aux « esprits » qui en ont fait disparaître plus d’une, et le terme de « suffragettes » est même évoqué.

On peut regretter l’absence de suspense, trop vite révélé à la fin du tome 1, mais cela ne remet pas en cause la classe de ce récit et ces paysages et mœurs, sans tape à l’œil mais avec un sens du fantastique indéniable. Bien imaginé (Pascal Bertho est le scénariste de « Chéri Bibi »), bien dessiné (couleurs directes de Chandre), c’est déjà beaucoup.
Comme d’habitude, Jacques de Loustal semble faussement indolent, alors une alliance avec Tonino Benacquista peut paraître déstabilisante. Sous titré « 17 variations sur le couple », cet album en format à l’italienne pourrait paraître paresseux, à savoir de courtes tranches de vie, qui finissent bien ou mal, qui mettent en scène des hétéros, des homos ou des touche à tout, dans des situations les plus diverses. Les deux auteurs sont faits pour s’entendre, mais on ne trouve ici qu’un moment de lecture agréable, une détente. Pas mauvais, mais un peu trop facile malgré une petite dose d‘excentricité.
Tout est vanité (Borgia) par Jean-Marc Lernould
Pour une fois je ne crie pas au scandale en voyant sur la couverture « Pour public averti ». Certes, la mention « l’épilogue sanglant de la saga » tient davantage du teasing qu’un appel à la prudence, mais le contenu de ce point final est réellement d’une rare violence, bien supérieure à ce que l’on a pu voir dans les trois tomes précédents : bébé égorgé, moine cloué sur une véritable planche de fakir et sodomisé, Léonard de Vinci se tapant un beau et jeune intrigant contre la promesse d’inventer des machines de guerre, et des dialogues de Jodorowski qui parfois choqueraient même un Vuillemin… On est loin de l’histoire réelle des Borgia, ce qui n’est d’ailleurs pas le but recherché par les auteurs, qui s’appuient sur cette famille il est vrai hallucinante, et a vraiment navigué d’incestes en assassinats, auteurs qui ont plutôt conçu un opéra dantesque.

Reste que le dessin de Manara ne permet pas de passer à côté de cette œuvre, avec un travail de la couleur qui laisse pantois, et bien que la mort de Lucrèce soit sous-traitée, cette mise en scène de la cruauté à un côté fascinant, bien que morbide. Pour rien au monde je n’enlèverai cette tétralogie de ma bibliothèque, mais « Borgia », de la sous-collection Drugstore (notons qu‘à l‘origine, les deux premiers volumes sont sortis sous le label Albin Michel), est réellement destiné aux adultes qui ont le cœur bien accroché.

A conseiller aux amateurs, l’interview de Manara dans le dernier numéro de « Casemate » (N°32).
Soleil poursuit sa série « 1800 » en adaptant le roman d’aventure d’Henri Rider Haggard, « Allan Quatermain et les mines du roi Salomon », que l’on connaît peut-être davantage par son adaptation au cinéma.

Ici, nous sommes dans les pas d’Allan Quatermain, sans doute l’un des précurseurs d’Indiana Jones. En 1880 en Afrique, ce chasseur expérimenté - qui tue sans vergogne les éléphants pour leurs défenses - est embauché par Sir Henry Curtis. Son frère Neville, en possession d’une carte indiquant une prétendue mine de diamants, n’a en effet plus donné signe de vie depuis qu’il s’est enfoncé vers des contrées inexplorées d’Afrique du Sud. Une expédition risquée, car quasiment aucun blanc n’a franchi les déserts et montagnes qui encerclent cette région. Un Keghla, Limbopa, se joint à l’expédition, et l’on devine très vite qu’il ne s’agit pas d’un simple guerrier. Le capitaine Good, redoutable tireur, accompagne également ce voyage dont tous ne reviendront pas.

Le scénario possède le charme désuet de cette littérature du dix-neuvième siècle, propre à cette série, et le dessin de Dim D. (« Aleph », avec Jean-Luc Istin) est agréable. Une histoire qui se conclura en deux tomes, et qui devrait notamment plaire aux ados.
La suite de « Mattéo » est somptueuse, par la finesse du dessin et des couleurs toujours plus recherchées, et une exploration de l’histoire et des sentiments très profonde.

On était resté sur la désertion de Mattéo, lors de la guerre de 14, dégoûté par la boucherie. Le voici anarchiste, qui revient chez sa mère, et qui retrouve Juliette l’espace d’un soir. Une Juliette tant aimée, qui l’avait rejeté pour épouser Guillaume, aviateur revenu dans un fauteuil roulant. Mais la jeune femme refusera d’accompagner Mattéo à Pétrograd, pour prêter main forte à la révolution. Avec son ami Gervasio, Mattéo va découvrir en Russie une opposition meurtrière entre anarchistes et bolcheviques, et la belle Léa, laquelle incarne une révolution impitoyable qui n’hésite pas à dévorer ses enfants. Alors qu’il espérait photographier une marche vers un avenir glorieux, Mattéo voit son humanisme heurté par le cynisme de Léa, pour qui la fin justifie les moyens, et se sent manipulé par les bolcheviques.

Cette contradiction est au cœur du livre, qui reflète les débats passionnés entre les différentes mouvances révolutionnaires, en 1917. Faut-il faire la révolution à n’importe quel prix, quitte à massacrer des innocents en taillant à la hache? Les anarchistes peuvent-ils rester aux côtés des bolcheviques, qui confisquent le nouveau pouvoir ? Les idéaux doivent-ils être menés à n’importe quel prix ? Et surtout, le pacifiste Mattéo supportera-t-il de voir le sang des innocents couler à nouveau, malgré la misère qu‘il découvre en Russie ?

Quant aux femmes de Gibrat, elles sont toujours aussi belles, mais les scènes de rue et les paysages les valent bien. Tient, au fait, avez-vous repéré un petit Tintin mélangé à la foule ? A noter qu’un cahier graphique parachève ce superbe album.
Bien que le prolongement de « Sambre », avec cette « Guerre » soit toujours agréable à lire (le dessin de Marc-Antoine Boidin est somptueux), il faut avouer que la généalogie de cette fichue famille est de plus en plus difficile à suivre. Heureusement, un petit récapitulatif y met un peu d’ordre : la période « Werner et Charlotte » (1768-1769) remonte aux premières racines de la saga, et comportera trois tomes. Il est d’ailleurs dommage que dans la « Guerre des Sambre », on ait commencé par publier « Hugo et Iris » qui se positionne dans une période ultérieure. De plus, ce n’est plus seulement Glénat qui édite, mais aussi Futuropolis. A part ce sac de nœuds, l’album est très beau.

Le récit se situe à Vienne, à la cour impériale, où Marie-Antoinette est déjà promise au dauphin de France, le futur Louis XVI. Werner, issu d’un orphelinat, y débarque comme un cheveu sur la soupe et y tombe amoureux de Charlotte, grande amie de Marie-Antoinette. Mais la mère de celle-ci ne l’entend pas de cette oreille, d’autant qu’elle a déjà le fils d’un riche banquier en vue pour sa fille. Une mère qui se montre particulièrement cruelle, tandis que la vie de cour est une véritable jungle. Bref, ce n’est pas gagné pour Werner et ses yeux rouges.

On reste dans la pure lignée de la série initiale, avec quelques portraits particulièrement saignants, et des tronches felliniennes. Classique, mais très élégant.
De Briques et de sang par Jean-Marc Lernould
Qui est le vrai personnage? Le décor ou ceux qui s’y meuvent? Quand la question se pose, c’est qu’il existe un véritable envoûtement et une osmose entre les deux. D’un côté l’utopie d’un familistère, de l’autre un thriller et ceux qui l’habitent. François et Hautière font la paire avec un superbe album estampillé KSTR.
Le familistère en question est situé à Guise (dans l’Aisne) et existe toujours. Un « palais social » érigé et voulu par Jean-Baptiste-André Godin (des poêles du même nom), où il s’agissait d’accoler à la manufacture du patron des logements, mais aussi crèche et commerces : une Cité radieuse avant l’heure. Et le décor est à l’avenant, avec une verrière somptueuse recouvrant le bâtiment principal, prémices de l’art nouveau en gestation.
Reste que les auteurs ont mouvementé cette bonne famille, en y distillant quelques meurtres, dont le premier en janvier 1914. Le journaliste et fait diversier à l’Humanité, Victor Leblanc (clin d’œil à Victor Lenoir?), venu de la capitale, ne va d’abord en tirer qu’un entrefilet, puis, aidé par une jeune fille du sérail, Ada, et au fur et à mesure que sont perpétrés les crimes, l’affaire enfle, tandis que l’on cerne de près l’actualité du moment, dont l’assassinat de Jaurès. Le journaliste comprend le familistère comme une île, mais le « social bienveillant » ne saurait éclipser les individus, d’où sans doute l’échec de la formule à terme (le familistère existe toujours, mais est devenu une société anonyme en 1968).
Avec son décor improbable, « de Briques et de sang » aurait presque mérité de figurer au rang des « cités obscures », mais affirme une grande originalité, car Régis Hautière et David François ont été séduits par ces lieux étranges. Une œuvre à part, hautement recommandable.
Clint (28 jours plus tard) par Jean-Marc Lernould
Ça doit être de la faute du virus, mais j’ai cru un temps que la BD de Niles était passée de Panini chez Delcourt en faisant trois morts : les auteurs. Une confusion liée aux deux éditeurs qui n’ont rien trouvé de mieux que d’éditer « 28 jours plus tard » avec ce même titre. Tant mieux si le livre tient la route et reprend bien le flambeau du film de Danny Boyle, un cas d’ascenseur relativement rare. Michael Alan Nelson s’est vu chargé du scénario mis en dessin par Marek Oleksicki (non crédité en couverture) et Delan Shalvey. N’empêche, se passer de Steve Niles, c’est plus qu’un dégât collatéral.

La fin, on la connaît. La Perfide Albion est devenue Zombiland, hantée par le fantôme de Romero. Et ce ne sont guère quelques survivants près de Manchester (City ou United?) qui vont nous réconcilier avec le genre humain. Pendant ce temps là, quelques crétins de chasseurs français abattent les mouettes de l’autre côté du Chanel, des fois que le microbe se la joue façon Louis Blériot. Et Outre-Manche, il y en a qui se péoccupent des blessés...

Mais « Clint », c’est avant tout une histoire d’ambiance. Craignos lorsqu’il s’agit de passer la nuit dans un pick-up, sous une simple bâche, alors que les morts sont plus vivants que nature. Heureusement la solide jeune femme Selena a de l’adrénaline à revendre. Ambiance encore quand les rares valides rencontrés, un poil fachos, filent davantage la frousse que les cadavres ambulants. C’est pas demain qu’on ira faire les soldes à Londres.
Ciseaux (Ken Games) par Jean-Marc Lernould
Fin de série pour « Ken Games », qui se clôture par ce troisième et dernier tome, « Ciseaux », après »Feuille » et « Pierre », nom ou surnom de trois amis qui ont chacun bâti leur vie sur le mensonge. Pierre, mathématicien en puissance, cache à ses proches sa passion pour la boxe. Feuille excelle dans la banque mais écume en fait les scripts de poker. Feuille enfin, institutrice dans la vie civile, est un redoutable tueur à gages au sein d’une organisation à laquelle on ne peut rien refuser. Cette fois, Pierre se dévoile en rencontrant sur le ring son ami Rashid, tandis que la tueuse doit prendre son ami pour cible, et que le passé de chacun refait un peu plus surface.
Une série intéressante et bien menée. Le caractère de Ciseaux n’est sans rappeler les errements philosophiques du « Tueur » de Jacamon et Matz, sans pour autant plagier.
C’est reparti pour un nouveau cycle d’ « Indra Dreams », avec un album qui est en réalité une mise en place des évènements à venir : on plante le décor d’aventures croisées qui devraient apporter le même plaisir aux amateurs des précédents récits.
Cette fois, ce sont des Anglais qui vont s’embarquer pour les Indes, au dix-neuvième siècle, pour diverses raisons. Certains y sont plus ou moins obligés, comme le professeur Sybellius mis à la porte de son université pour avoir présenté à ses élèves la beauté des sculptures indiennes très érotiques, Kamasoutra en relief, et qui finalement se résout - non sans plaisir - à partir pour ce pays qui l’envoûte. Il y a également miss Virginia Moore, meurtrière de son compagnon et de son enfant, et pourchassée, qui usurpe une identité pour accompagnée le juge Arthur Byle, nommé à la Cour suprême de Calcuta, un homme falot, accompagnée de son épouse, caricature de la morale victorienne. A bord de l’imposant paquebot, on retrouve également le botaniste Abe Dawson et les lanciers du Bengale du colonel Redfield. Un inspecteur impitoyable, Abbot Pimlicott, lancé sur les traces de la meurtrière, gagnera bientôt les Indes à son tour.
Nous sommes donc devant une mise en bouche qui promet de l’action, mais qui évoque déjà cette distance incroyable entre l’austère Angleterre victorienne, pudique et frigide, et les Indes à la fois sordides et chatoyantes, où le sexe s’exhibe sur les frontons des temples, et où des Européens trop corsetés peuvent espérer trouver enfin leur place.
Le dessin reste fabuleux, avec des évocations du Londres d’alors qui paraît d’une étonnante authenticité, mais les premières images de l’Inde en fin d’album sont également remarquables, d’autant que Jean-François Charles soigne particulièrement ses couleurs. Le tout sur un scénario qui aurait pu s’avérer complexe par le nombre de personnages et de situations, mais que Maryse Charles a le talent de faire apparaître comme limpide. Un très grand retour d’ « India Dreams ».
Précisons qu’un superbe carnet de croquis, tiré à part, est proposé avec la première édition.
Baron Samedi par Jean-Marc Lernould
La couverture est prometteuse, mais là je dois avouer que je suis tombé dans le gore total, mettons plus sévère qu’un « Nécron » de Magnus, c’est peu dire. « Baron Samedi » débute pourtant par beau mariage en Amérique du Sud, jusqu’à ce que débarquent deux camions chargés de mercenaires dirigés par un certain Bob Bernard. Des tueurs qui, « au nom de la République française » vont massacrer tous les habitants du village, et là, ça saigne dur. Mais dans l’horrible charnier, un petit garçon a survécu, et il est bien décidé à se venger de la France. Quinze après, il débarque au Havre où un catcheur vieillissant, qui combat en tenue de squelette, le prend sous sa coupe et devient son second père. Mais au cours d’un combat, le jeune homme reconnaît Bob Bernard parmi les spectateurs et se lance à sa poursuite. Le mercenaire tue son père adoptif dans la bagarre, puit lance un sac de chaux vive au visage du catcheur, le défigurant à jamais. Dans la foulée, comme la scène se passe dans un cimetière, le nouveau Baron, qui se baptise Samedi, sauve une jeune fille d’un viol, Brigitte qui va alors l’accompagner dans sa vengeance sanguinaire.

Attendez-vous donc à un récit aussi saugrenu que cruel, Fantômas apparaissant comme un petit rigolo auprès du terrifiant Baron, qui nous emmène dans une histoire sans aucune morale (Dans le vaudou, Baron Samedi est l'esprit de la mort et de la résurrection…).
Un album qui peut en déranger beaucoup malgré son originalité et un excellent dessin où seuls du rouge et du jaune vient ponctuer le noir et le gris, et à ne pas mettre entre toutes les mains.
Revanche des cendres (Murena) par Jean-Marc Lernould
Les auteurs ne se revendiquent pas historiens, mais ils se basent sur des sources sérieuses et précisent les entorses qu’ils sont susceptibles de réaliser pour donner vie à « Murena ». Ce tome 8 est la fin d’un cycle, qui se termine en apothéose ou en catastrophe, selon les points de vue, à savoir le terrible incendie de Rome en 64 après JC.
On balaie ici l’image d’Épinal d’un Néron fou et hagard qui aurait volontairement mis le feu à sa capitale, et dès le tome précédent, on sait c’est Lucius Murena qui par vengeance a incendié la ville. Au contraire, Néron œuvre ici parmi les sauveteurs, cherche une issue pour la foule paniquée, mais la rumeur court. Néron n’a-t-il pas violé une vestale? N’est-ce pas lui qui a attisé les braises? Son proche entourage, vil et avide, désigne le bouc émissaire, les chrétiens, qui jusque là étaient parfaitement tolérés. Un général romain tente même de soutenir Pierre, qui vient en aide aux démunis.
Le dessin de Delaby souligne l’aspect hallucinant de ces flammes, esquissant un décor dantesque qui part en fumée, broyant les pierres et les hommes. Le Tibre lui-même se révèle un cercueil pour ceux qui veulent s’échapper. Rendons aussi hommage aux couleurs, c’est le cas de le dire, flamboyantes de Jérémy Petiqueux, qui maîtrise parfaitement la nuit et le brasier, et cette pluie de cendres qui recouvre Rome. Espérons une suite à ces huit volumes dont pas un n’échappe au superbe.
D’Artagnan a l’air d’un grand benêt, et c’est bel et bien Milady qui tient la vedette en femme fatale. Marquée d’une fleur de lys à l’épaule, signe d’infamie, on la découvre pendue toute nue par son premier mari, puis elle occis son second époux qui la surprend dévêtue. On ne sait pas encore d’où lui vient ce vilain signe ancré au fer rouge dans la peau, mais la jolie demoiselle prend presque des allures de victime, jusqu’à se faire violer par le duc de Buckingham. Richelieu en fera son espionne en lui offrant de se venger, tandis que ses relations avec le mousquetaire prennent une tournure sadomasochiste je t’aime-je te tue.

Milady, fantasme de tout adolescent, somptueuse garce et sans pitié, passe du second rôle au premier plan sous la plume raffinée et légère d’Agnès Maupré, qui l’air de rien dessine de très jolis minois. Un gris plutôt qu’un noir et blanc, qui présente Milady mauvaise mère, maîtresse fourbe, tellement complexe qu’au fond il doit bien y avoir en elle un peu de tendresse, mais cachée au trente-sixième dessous. Et les quelques croquis qui annoncent le tome 2 ne vont faire que compliquer les choses. En attendant, savourons ce premier volume.
Croix de sang (L'ambulance 13) par Jean-Marc Lernould
La Grande Guerre et la BD, c’est une longue histoire. Entre la référence Tardi, « Mattéo« (T1, de Gibrat) « Notre mère la guerre » (Maël et Kris), le mariage donne souvent de beaux enfants malgré les horreurs décrites. « L’Ambulance 13 » n’est peut-être pas encore à la hauteur des ouvrages cités ci-dessus, mais présente un angle intéressant zoomant sur une section d’ambulanciers et de médecins avec l’autorité et le charisme en toile de fond.

Sur le front, en 1916, le médecin major Louis Bouteloup débarque en première ligne pour sa première affectation, puisque son prédécesseur comme tant d’autres avant lui, a été pulvérisé par un obus. Fier bourgeois, Bouteloup pense acquérir d’emblée le respect de ses hommes en ne se courbant pas sous les bombes, mais on lui fait vite comprendre qu’avant d’être des leurs, il va devoir faire ses preuves.
Il va aussi devoir apprendre à faire des choix, intégrer malgré lui qu’il y a des blessés qui ne valent pas la peine que l’on s’occupe d’eux, parce que condamnés, mais l’officier sait aussi désobéir lorsque sa conviction l’emporte, comme lorsqu’il provoque une courte trêve avec les Allemands de la tranchée d’en face, pour aller récupérer ne serait-ce qu’un agonisant.

L’album est honnête, quoi que le dessin pourrait être amélioré, tout comme les couleurs, mais la série mérite d’être suivie. A signaler que Canal BD propose une édition toilée un peu plus onéreuse 15,90 euros (tirée à 1 200 exemplaires) mais qui comprend huit pages de croquis et un ex libris.
La position du tireur couché par Jean-Marc Lernould
Cet été, j’avais soigneusement évité les dernières pages de Libé, qui reprenait en feuilleton « la Position du tireur couché », adaptation du roman de Manchette par Tardi. Et je m’en félicite, car ce petit chef d’oeuvre doit se lire d’une seule traite, comme on prend un coup de poing dans le ventre. Car on est dans le registre plus efficace tu meurs qui est l’une des qualités des meilleures Manchette, et on est loin devant le pourtant efficace « Princesse du sang » de Cabanes et du fils Manchette. Mais ce n’est pas la première fois que Tardi fait mouche avec des romanciers (Daniel Pennac, Léo Malet) dont le fameux Griffu, déjà avec Manchette.
Le scénario peut paraître classique : un tueur à gages efficace veut quitter l’organisation. Martin Terrier, originaire d’un village quelconque où l’on s’ennuie, promet à sa jeune amoureuse Alice de revenir les poches pleines dans dix ans et de l’emmener avec lui. La suite est moins romantique : l’armée, puis l’assassin rémunéré, et au bout de dix ans on solde les comptes. Évidemment l’organisation ne l’entend pas de cette oreille et Martin Terrier apprend vite qu’elle sait tout de lui et surtout où et quand frapper impitoyablement son entourage et les arrières qu’il pensait assurés malgré sa prudence.
Classique, sauf que Tardi reprend les dialogues qui font mouche, sans tergiverser, va à l’essentiel dans la narration, sans laisser aucun répit. Plus on avance, plus ça disjoncte de toutes parts, sans pourtant aucune invraisemblance, juste un gros brin de désespoir. Du pur Manchette, que Tardi est pour l’instant le seul à interpréter de cette façon par son dessin. Sans doute le polar-BD de l’année.
Le pavillon des plaisirs (Djinn) par Jean-Marc Lernould
Dufaux et Miralles renouent comme annoncé avec un nouveau cycle de « Djinn », quittant l’Afrique pour l’Inde, pays propice aux ébats érotiques qu’affectionnent les deux auteurs. L’Inde qui est source d’inspiration actuellement puisque Maryse et Jean-François Charles ont également repris avec bonheur une nouvelle saga d’ « India Dreams ». Et là, autant dire que la beauté des vêtements et des bijoux, l’élégance de femmes plus jolies les unes que les autres, les variations sensuelles, s’imbriquent totalement dans les intrigues conçues par Jean Dufaux.
On retrouve donc notre djinn, beauté capable de séduire autant les hommes que les femmes, accompagnée du couple Nelson, conquis et littéralement esclaves consentants de la brune aux cheveux interminables. Le décor? Le Rajasthan au début du vingtième siècle et sous domination anglaise, avec un jeune maharadjah qui verrait une collaboration d’un bon œil, ce qui n’est pas du goût de sa mère, la rani Gaya Bashodra, qui colle dans les bras de son rejeton Tamila, la fille d’un célèbre bandit farouchement anti britannique et insaisissable.

Parallèlement, djinn est chargée par la rani de faire l’éducation sexuelle de sa future belle fille, au sein du fameux pavillon des plaisir, ce va susciter de violentes jalousies au sein de cette sorte de harem, et d’autres mystères se dessinent pour faire de cet album bien autre chose qu’un ersatz de kamasoutra.
La complicité entre Jean Dufaux et Anna Miralles, qui se régale des couleurs et des étoffes indiennes, fait encore mouche dans cette série qui sait toujours rebondir, et sans doute le charme de la djinn n’y est pas étranger, d’autant que les divinités s’en mêlent…
Stigmates (Le Réseau Bombyce) par Jean-Marc Lernould
Le troisième et dernier tome du « Réseau Bombyce » a été réalisé sans le scénariste qui avait contribué à étoffer les deux premiers volumes, et cela s’en ressent, malgré l’apport de Cuveele pour les dialogues. La fin laisse en effet un goût d’inachevé, comme si Cecil avait du mal à trouver la porte de sortie, malgré un dessin superbe - mais en deçà des deux premiers opus - et ces somptueuses références à l’art nouveau.
Les deux montes en l’air, Eustache et son copain de nabot, n’ont plus guère le cœur à voler de toits en toits de cet improbable Bordeaux, mi futuriste, mi rétro, pour aller dévaliser les bourgeois. Entre temps on se rappelle qu’ils ont mis au jour un sordide trafic de femmes dont a été victime Zibeline, la jolie copine d’Eustache, mais ce dernier ne se résigne pas à la retrouver. On assiste donc à une sorte de baroud d’honneur où nos deux baroudeurs sont traqués par les sbires de personnes influentes, et où le romantisme désuet n’a plus sa place.

La conclusion n’est pas à la hauteur de la série, conclusion que l’on attendait d’ailleurs depuis huit ans. Peut-être aurait-il mieux valu continuer à battre le fer tant qu’il était chaud.
Sorcellerie et dépendances par Jean-Marc Lernould
Déception avec cette histoire dont le point de départ m’avait attiré par son originalité : au vingtième siècle, la sorcellerie est déconseillée, mais certains en abusent, au point de succomber à une forme d’addiction et de participer à des réunions de repentance, style alcooliques anonymes. Et quand on va jusqu’à convoquer le diable pour un pacte d’éternelle jeunesse, il est bien difficile pour les ménagères vieillissantes de rompre le contrat.

En dehors de ce Faust aux allures de Desperate houswife, l’intrigue est aussi plate que le dessin. Un filon mal exploité.
Episode 2 (Namibia) par Jean-Marc Lernould
Le second cycle du thriller mâtiné de science-fiction « Kenya » se poursuit, non dépourvu de qualités. On retrouve l’agent spécial Kathy Austin en Namibie, sur les traces d’un Hermann Göring qui s’est littéralement réduit en poussière devant elle. Mais ce n’est pas le seul dans son cas, et d’autres défunts réapparaissent avant de retomber en poudre. Seul point commun, leur tombe a été ouverte, leur cercueil aussi, mais on retrouve les corps dans leur sépulture. Göring, Kathy va d’ailleurs dénichée sa tombe, vénérée par des nostalgiques du nazisme, habillés en short façon Africa Korps. Mais d’autres faits étranges se manifestent en Afrique : on retrouve non seulement des mouches imposantes apparues dans le premier tome, mais également des fourmis géantes, tandis que certains Namibiens sont frappés par une épidémie de vieillissement précoce. Bref, « Namibia » révèle encore bien des surprises.

Rappelons que l’adaptation en roman des cinq volumes du premier cycle, « Kenya », de Rodolphe, sont disponibles aux Éditions Mango.
« Chambres noires », tome 1 « Esprit es-tu là? », d’Olivier Bleys et Yomgui Dumont. Vents d’Ouest

Drôle de famille celle des Penouquet. Une bande de faux spirites qui vendent des photos truquées où apparaissent les spectres derrière ceux qui viennent se faire tirer le portrait. Jusqu’au où un vrai fantôme se révèle sur certains clichés. Un fantôme qui est celui d’une prostituée que l’on voit accoucher de jumeaux en ouverture de l’album, des bébés qui sont aussitôt vendus par la mère maquerelle à deux hommes en noir plus qu’inquiétants. La mère parvient à les leurrer, mais cela lui coûtera la vie.
Drôle de famille que les Penouquet, où le portrait d’une aïeule intervient de temps à autres pour donner son, où une petite fille muette parvient à lire sur les lèvres du spectre photographié, où deux jumeaux disparaissent soudainement…
« Chambres noires » est un coup de maître, par un scénario audacieux dans le Paris du dix-neuvième siècle (Olivier Bleys a remporté des prix pour plusieurs de ses romans, dont « le Fantôme de la Tour Eiffel »), et un dessin époustouflant de Yomgui Dumont, qui manipule les couleurs d’une façon exceptionnelle. Un très gros coup de cœur.

56 pages, 13 euros.

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